Open/Close Menu Paroisse catholique à Lyon

5ème dimanche de Pâques A – 7 mai 2023
Ac 6, 1-7 – Ps 32 (33) – 1 P 2, 4-9 – Jn 14, 1-12
Homélie du P. Franck Gacogne donnée au Temple du Change (échange de chaire)

Les versets qui précèdent tout juste ce chapitre 14 de Jean peuvent nous donner je pense une clé de lecture. Je vais donc revenir un peu en arrière : après le lavement des pieds, Jésus dit à ses apôtres : « Là où, moi je vais, vous, vous ne pouvez pas venir » (Jn 13, 33). Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? » (Jn 13, 36), et Jésus à nouveau lui répète : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard » (Jn 13, 36). Et au chapitre14, nous l’avons entendu, c’est Thomas qui en remet une couche : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment en saurions-nous le chemin ? » (Jn 14, 5) De ces versets nous voyons une lourde insistance et une inquiétude des apôtres à vouloir absolument connaître la destination de Jésus. Jésus, quant à lui, reste vague en parlant seulement de la « maison de son Père ». Thomas et Pierre sont dans la logique du GPS. Ils veulent que Jésus leur donne dès maintenant l’adresse précises de sa destination pour, pensent-ils, être ensuite assuré d’avoir toutes les cartes en main et pouvoir le rejoindre plus tard puisqu’il leur dit qu’il ne sera plus avec eux.

Mais voilà que Pierre et Thomas n’ont rien compris : ce qui importe après le départ de Jésus, ce n’est pas tant le terme du chemin que le fait même de marcher ensemble. Jésus déclare au présent : « Je suis le chemin » (Jn 14, 6). La vie avec Jésus, la vie éternelle n’est pas mise en réserve dans un ciel à venir, dans un au-delà lointain. La vie éternelle n’est pas une vie qui ne commencerait qu’après la mort. C’est aujourd’hui et c’est maintenant que nous pouvons suivre le Christ et vivre de sa vie, oui, Jésus le déclare au présent : « Je suis le chemin ». Mais de quel chemin Jésus parle-t-il ? Son propre chemin ou bien celui que chacun de nous emprunte ? Je crois profondément que son chemin est le nôtre.

Souvent dans des groupes de partage, j’entends des chrétiens vouloir prendre de fermes résolutions et parfois décider une vraie conversion, disant : « je vais prendre le chemin de Dieu ! ». Et cela me rend admiratif ! En générale, ces personnes, en toute humilité, pensent ne pas être sur ce chemin de Dieu et elles veulent en chercher un autre qui leur semble nécessairement plus exigeant et plus difficile à parcourir. Ce qui est sûr c’est que les disciples qui se rendaient à Emmaüs (Lc 24, 13-35) étaient bien loin du choix héroïque de vouloir suivre Jésus dans sa passion. En tournant le dos à Jérusalem, leur itinéraire prenait plutôt les apparences d’une fuite craintive et dépitée : difficile d’estimer a priori qu’ils prenaient ainsi le chemin de Dieu.

Seulement voilà, il se trouve que le Ressuscité n’est pas où on l’attend, il n’est pas celui qu’on choisit, c’est plutôt lui qui nous choisit (Jn 15, 16) et qui vient rejoindre nos chemins, mêmes, et peut-être surtout, s’ils cherchent à s’enfuir loin de lui. Jésus est le compagnon de route inattendu. En fin de compte, je ne sais pas s’il est possible de se mettre sur le chemin de Dieu car de quelle manière le faire ? En tout cas l’évangile témoigne que Jésus quant à lui rejoint le chemin de l’homme surtout lorsqu’il est blessé, égaré, exclu. Et si être en chemin avec lui c’était se laisser faire, se laisser relever, se laisser accompagner ?

Vous la savez avant que les disciples ne reçoivent pour la première fois le nom de chrétien à Antioche (Ac 11, 26), ils étaient appelés les « adeptes de la voie » (Ac 9, 2). Le chemin nous oriente et nous ouvre un avenir, il est plein de promesse et en même temps, c’est vrai, il est risqué de s’y aventurer. Mais être chrétien n’est pas un statut, un état acquis, puis pour beaucoup oublié. Pour être chrétien, un adepte de la voie, il nous faut sans cesse devenir ce que nous sommes (St Augustin) en avançant sur le chemin de l’évangile. C’est par la foi que nous pouvons nous mettre en route car il n’y a pas d’autre manière d’être disciple qu’être en mouvement. A ceux qui lui demande « Maitre où demeures-tu », il répond « venez, et vous verrez » (Jn 1, 38-39) et ce qu’ils voient, c’est l’intérêt d’avoir de bonnes chaussures car il n’a pas d’endroit où reposer la tête (Lc 9, 58).

C’est précisément en chemin avec le Christ que nous expérimentons qu’il est vérité et qu’il est vie. Là encore, les disciples d’Emmaüs en font une expérience transfigurante. Si le chemin comme la vie ne sont pas figés, pourquoi la vérité le serait ? Il n’y a aucune raison, comme nous le pensons parfois, que la vérité soit un package de dogmes figés et monolithique. D’égal à égal, au même rythme, en conversation sur le chemin d’Emmaüs, la vérité se fait jour, elle se révèle, elle émerge de cet échange vif et ardent qui fait sens. Telles sont les circonstances nécessaires pour que la vérité se fasse reconnaître. A contrario, quand Jésus humilié est présenté à Pilate qui le domine de son pouvoir et de ses artifices, la vérité ne peut se dire, ce serait une mascarade, voilà pourquoi, dans ces conditions, à la question de Pilate « qu’est-ce que la vérité » (Jn 18, 38), seul le silence est approprié.

Nous le savons, prétendre qu’on possède la vérité suscite la violence et l’intolérance, croire qu’ensemble, on peut parvenir à la vérité peut réconcilier les différences. La vérité n’est vraie qu’à se chercher. La vérité ne se saisit pas. Bien au contraire, c’est elle qui nous saisit. « Cesse de t’accrocher à moi » (Jn 20, 17) Le Christ ne se laisse pas accaparer par Marie-Madeleine qui voulait se saisir de lui au matin de Pâques, il est la vérité qui se laisse désirer. Marion-Mulard-Colard que je ne vous présente pas écrit dans Eclats d’évangile : « Jésus est la vérité en mouvement, celle qui ne se laisse pas posséder. La vérité faite chair dans une succession de déplacements. Aussi l’Evangile veut-il nous dissuader de lui mettre la main dessus. Car posséder la vérité, c’est se figer tout entier. Ne plus rien attendre, ne plus rien espérer. » (Eclats d’évangile, Marion Muller-Colard, p. 326)

Seigneur, tu nous dis enfin « Je suis la Vie ». Tu n’es donc pas là-haut pour les manipuler, pour les torturer ou les laisser dépérir. Mais tu te fonds, tu prends place dans toute vie humaine épanouie ou blessée, prometteuse d’avenir, ou abimée. C’est ta vie que tu insuffle en chacun de nous, pour qu’en toute circonstances nous puissions tout à la fois expérimenter combien tu partages notre condition, et combien en même temps, tu viens la ressusciter. Que chacune de nos célébrations soit expérience de toi Seigneur Jésus qui est chemin, vérité et vie.