Open/Close Menu Paroisse catholique à Lyon

6e dimanche de Pâques B – 5 mai 2024

Ac 10, 25-26.34-35.44-48 – Ps 97 (98) – 1 Jn 4, 7-10 – Jn 15, 9-17

Homélie du P. Franck Gacogne

            A première vue, ce discours de Jésus nous semble magnifique mais il comporte des paroles qui peuvent heurter notre sensibilité. « Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres »… « Commander » et « aimer » nous semblent incompatibles, l’un ne peut s’accorder à l’autre car l’amour se peut pas se « commander » au risque d’être dénaturé et dévoyé. Ce ne serait plus un amour sincère, libre et véritable s’il était commandé. S’il y a une contrainte ou une subordination, l’amour n’en est plus ! On est d’accord. L’important est donc de voir si nous ne ferions pas un contre-sens, piégé par la traduction que l’évangile nous offre.

            Tout d’abord, le verbe « aimer ». Nous le savons le français est pauvre car nous traduisons par le seul et unique verbe « aimer » à la fois l’attachement, l’amitié, l’amour ou la relation charnelle là où le texte original en grec utilise des mots différents. Quand Jésus commande ici de nous aimer comme lui-même nous a aimé, il utilise le mot « agapê ». Agapê signifie aimer par le don de soi-même aux autres, c’est l’attitude même du Christ qui se donne sans réserve pour le bien et le libre épanouissement de l’autre, jusqu’à sa propre vie. En nous aimant de la sorte, Dieu nous fait exister pour nous-mêmes et non pour lui. Jésus n’a rien gardé en réserve pour lui : « tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître ».

            Ensuite, le mot « commandement ». Nous percevons le commandement comme une réalité vaguement militaire et autoritaire, qui nous est extérieure, voire qui s’impose à nous par la force, qui est soupçonnée d’arbitraire, dont nous ne comprenons pas toujours le bien-fondé. Et en tout cas, son caractère impératif et obligatoire nous rend son application souvent insupportable car ressentie comme contraire à notre liberté voire même à notre dignité. Là encore, les termes employés par le grec du Nouveau Testament vont nous aider à comprendre ce que signifie le commandement que Jésus nous invite à appliquer de bon cœur et à intérioriser. Le mot commandement : « entolê », le verbe je vous commande : « entellomai » vient d’une racine qui désigne l’accomplissement, le « télos », le terme, le but, la finalité, ce qui accomplit en fait l’intention, le désir, l’idéal d’une personne, d’une action ou d’une réalité. Le commandement tel que le perçois Jésus est donc ce qui va me permettre de m’accomplir moi-même, ce qui va m’amener au terme de ce que je désire être, à mon plein accomplissement. Sa mise en œuvre implique une adhésion intérieure, conforme à la fois à notre désir profond, à notre plus grand bien. C’est ce pour quoi nous sommes faits et ce pour quoi nous sommes heureux d’être faits ! C’est ce genre de commandement que le Christ nous demande de recevoir et d’accomplir.

            Dès lors, c’est bien cela qu’il nous recommande : une relation vraie et désintéressée pour nous accomplir. L’amour n’est pas forcé, il est offert en cadeau comme Jésus offre sa vie. La question qui nous est maintenant adressé c’est de savoir si nous voulons faire fructifier ce don en nous. Et la seule manière de le faire c’est, après l’avoir reçu et reconnu, de l’offrir en ayant la même attitude « agapê », c’est-à-dire être dans le don de nous-mêmes.

            Peut-être qu’une autre parole vient nous heurter : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis » parce qu’en général, on aime notre autonomie, on aime choisir soi-même ce que l’on veut. Et puis être chrétien, n’est-ce pas aujourd’hui le décider et choisir le Christ comme le font nos nouveaux adultes baptisés et nos confirmands ?

            Certes, mais Jésus nous invite à un renversement de perspective et à reconnaître que ce n’est pas nous qui nous donnons la vie, ce sont nos parents qui nous l’ont un jour donnée. D’ailleurs, nous venons de dire de Dieu qu’il est don, don de lui-même pour chacun de nous. Le propre du don, du cadeau, c’est justement de ne pas le choisir : il vient d’un autre, il est gratuit et je suis invité à le découvrir. Ce cadeau n’a rien de banal, car c’est une personne. C’est donc Dieu lui-même qui décide de nous choisir en se donnant gratuitement et entièrement à chacun de nous, par amour.

            Je termine en attirant votre attention sur cette affirmation de Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». La meilleure traduction serait non pas « donner » sa vie pour ceux qu’on aime, mais « déposer » sa vie pour ceux qu’on aime. C’est le même verbe que l’évangéliste Jean utilise pour décrire l’attitude de Jésus deux chapitres plus tôt au cours du dernier repas : « Jésus se lève de table, il dépose son vêtement » afin de laver les pieds de ses disciples. Autrement dit la manière d’exprimer le plus grand amour, c’est de déposer sa vie comme Jésus le fait au pieds de ses disciples. Il ne les qualifie pas de serviteurs mais d’amis en se faisant leur serviteur. Le vêtement qui représente sa dignité est déposé à leurs pieds pour qu’ils en soient revêtus et le reçoivent en partage, nous reconnaissons-là l’un des signes du baptême.

            Dès lors le baptême n’est pas tant le choix que vous faites pour Baptiste, Léopold, Alice et Zélie que le cadeau que Dieu leur fait de sa propre vie. Et la visée, le but de ce don inouï est indiqué par Jésus, c’est la joie : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite ». Qu’elle soit alors contaminante et communicative. Amen.