Open/Close Menu Paroisse catholique à Lyon
Père Franck GACOGNE

3e dimanche du temps ordinaire C – 23 janvier 2022
Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Prédication sur Luc 18, 35-43
Echange de chaire à l’Eglise orthodoxe de Vaise. Homélie du P. Franck Gacogne

Saint-Irénée, docteur de l’Eglise et docteur de l’unité… Avec vous, je ne peux que me réjouir ce matin et rendre grâce à Dieu pour l’honneur qui est fait à Saint-Irénée, à la Ville de Lyon dont il est le deuxième évêque après Pothin, et à toutes celles et ceux qui œuvrent pour l’unité des chrétiens. Je ne sais pas si cette appellation et cette reconnaissance : « Docteur de l’Eglise » et « Docteur de l’unité » annoncée vendredi dernier par le pape François a une importance et si elle a un caractère particulier dans les Eglises orthodoxes. En revanche je sais combien la figure et la théologie de Saint-Irénée est lumineuse et unit tous les chrétiens. Précédemment curé de la paroisse Saint-Irénée Saint-Just, j’ai eu la chance de faire connaissance avec le P. Antoine Callot puisque votre paroisse était alors installée à l’église St-Just. J’ai surtout été témoin que la crypte de Saint Irénée animée par l’Eglise catholique était pourtant plus fréquentée par des chrétiens orthodoxes ; au cœur de Lyon, elle était plus connue et visitée il y a 20 ans par des orientaux que des Lyonnais, j’espère que cela a changé ! Ce lieu présumé du tombeau d’Irénée attire des chrétiens de toute confession dont un grand nombre d’orthodoxes qui, de passage à Lyon où venus spécialement en pèlerin viennent se recueillir au plus près des reliques de ce Père de l’Eglise.

Saint-Irénée, voilà en effet un Père de l’Eglise, Père de l’Eglise du Christ bien sûr ! A la fin du second siècle, il est sans doute le premier grand théologien en occident, explicitant la foi au regard des courants de pensées de son temps et éclairant ses propos par les Ecritures dont il a une connaissance phénoménale. Sans être encore encombré par la formulation de dogmes qui viendront plus tard il n’est pas contraint par des mots qui cadrent et risquent d’appauvrir le mystère de Dieu. Dans une théologie de l’incarnation, il développera, entre autres, le thème de l’accoutumance entre Dieu et l’humanité, par exemple je cite : « l’Esprit est descendu sur le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme : par-là, avec lui, il s’accoutumait à habiter dans le genre humain, à reposer sur les hommes, à résider dans l’ouvrage modelé par Dieu ; il réalisait en eux la volonté du Père et les renouvelait en les faisant passer de leur vétusté à la nouveauté du Christ » (AH III, 17, 1).

Cette citation d’Irénée me permet de venir à l’évangile de Luc que nous avons entendu parce que je crois qu’elle l’éclaire : l’Eprit descendu sur Jésus renouvelle le genre humain en le faisant passer de sa vétusté à la nouveauté du Christ ! N’est-ce pas la transformation qui s’opère pour cet aveugle à l’approche de Jéricho, mais aussi une transformation qui s’opère pour la foule qui accompagne Jésus ? Je vous propose d’observer et de nous laisser toucher par ces transformations, car nous qui souhaitons aussi suivre le Christ, l’une ou l’autre peut nous concerner aujourd’hui dans notre chemin de foi.

Regardons tout d’abord la foule. Nous ne savons pas vraiment qui la compose, mais après un long temps d’enseignement dans le chapitre qui précède, c’est le premier déplacement de Jésus. On imagine donc cette foule nombreuse, à l’entourer, à l’entrainer dans son mouvement, galvanisée par ses paroles et le suivant comme son leader. Cette foule est séduite, mais chacun en son sein est-il vraiment entré librement en conscience dans le mouvement auquel il a pris part ?

Nous savons que dans le langage biblique il y a une distinction forte entre une « foule » et un « peuple ». Le peuple, c’est peuple de Dieu, celui de l’Alliance qui a pris conscience que le Seigneur marche devant lui, il est plein d’espérance et avance avec constance malgré de multiples soubresauts. Il connaît son histoire, écoute la Parole de Dieu et fait confiance en Celui qui le conduit. Il deviendra ce peuple de l’Alliance Nouvelle scellée dans le mystère pascal. La foule, tout au contraire, ce sont les hommes d’un moment dont le seul point commun est d’être attiré par le merveilleux, le fantastique, ce sont ceux qui s’agglutinent pour voir ce qui se passe, un attroupement, un agrégat d’individus sans constance qui cherchent à posséder et à s’emparer de celui qu’ils adulent.

C’est donc une foule qui entoure Jésus, et elle n’a que faire de ceux qui sont à sa marge. Seulement voilà, malgré l’obstacle que cette foule constitue pour cet aveugle, malgré les rejets qu’il subit de sa part, il se trouve que le cri de cet aveugle arrive à la pourfendre et à atteindre Jésus. Bien qu’aveugle, il semble que ce soit le seul qui ai bien vu qui était Jésus : la foule lui annonce qu’il s’agit de « Jésus le Nazaréen » mais l’aveugle voit en lui « Jésus, le fils de David » et c’est ainsi qu’il crie vers lui. Par cette dénomination « Fils de David », il le reconnait de la descendance de David, ainsi, il dit sa foi en lui en le désignant comme le Messie.

Jésus, plein d’attentions et de pédagogie, au lieu de rejeter ou de contourner cette foule qui fait obstacle à sa rencontre, choisi de la transformer. Jésus aurait pu appeler l’aveugle lui-même. Eh bien non, il demande la conversion de cette foule pour qu’elle soit maintenant médiation de la rencontre. Jésus s’adresse donc à cette foule pour qu’au lieu de le faire taire, elle l’appelle et le conduise à lui. Et la conversion se produit, car il ne vous a pas échappé qu’à la fin du récit, la foule n’en est plus une, elle est devenue un peuple qui se met à faire monter à Dieu sa louange. L’évangéliste prend bien le soin de nous le signifier dans son récit en utilisant deux mots grecs bien distincts entre le début et la fin.

C’était la première transformation, celle de la foule en peuple. Regardons maintenant celle de cet aveugle. Au début du récit, il cumule au moins 5 difficultés :
1. Il est hors de la ville : c’est un exclus.
2. Il est mendiant : donc dépendant et assisté.
3. Il est aveugle : donc avec peu d’autonomie.
4. Il est assis par terre : le texte voulant souligner par là qu’il n’a pas toute sa dignité.
5. Et enfin il est au bord du chemin donc en marge, dans le fossé.

Et ce qui va opérer la transformation de sa condition, ce n’est pas tant Jésus, que la foi qu’il porte en lui. D’une certaine façon, Jésus n’en est que le témoin privilégié pour le lui confirmer : « Ta foi t’a sauvé ! ». Il sait de quoi nous avons besoin avant même que nous ne lui ayons demandé (Mt 6, 8), et pourtant il sollicite l’expression de notre demande « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » parce que notre demande est la manière de confesser notre foi en lui, et c’est cette confession de foi qui nous transforme. L’aveugle qui ne l’est plus retrouve sa dignité et sa liberté, il est debout, ressuscité. Et immédiatement, il choisit de se faire disciple et de se faire missionnaire puisqu’il se met d’une part à suivre Jésus et d’autre part à rendre gloire à Dieu.

Que ce récit nous aide à repérer aujourd’hui les transformations, les conversions auxquelles nous sommes appelés pour que, comme dit Irénée, l’Esprit-Saint nous fasse passer de notre vétusté à la nouveauté du Christ. Toute l’année, mais plus encore au cœur de cette semaine de prière pour l’unité de tous les chrétiens, je ne cesse de penser que nous traînons dans nos différentes Eglises des vétustés qui nous paralysent et nous enchaînent, alors que le Christ ne cesse de prier pour notre unité et de nous appeler à la liberté des enfants de Dieu.

Seigneur, que nous puissions nous mettre à l’école de Saint-Irénée, docteur de l’unité dont le nom même signifie « pacifique » et qui nous adresse ces mots :
« Ayant donc reçu cette prédication et cette foi, l’Église, bien que dispersée dans le monde entier, les garde avec soin, comme n’habitant qu’une seule maison, elle y croit d’une manière identique, comme n’ayant qu’une seule âme et qu’un même cœur, et elle les prêche, les enseigne et les transmet d’une voix unanime, comme ne possédant qu’une seule bouche. Car si les langues diffèrent à travers le monde, le contenu de la Tradition est un et identique… De même que le soleil, cette créature de Dieu, est un et identique dans le monde entier, de même cette lumière qu’est la prédication de la vérité brille partout et illumine tous les hommes qui veulent « parvenir à la connaissance de la vérité ». Et ni le plus puissant en discours parmi les chefs des Églises ne dira autre chose que cela – car personne n’est au-dessus du Maître –, ni celui qui est faible en paroles n’amoindrira cette Tradition : car, la foi étant une et identique, ni celui qui peut en disserter abondamment n’a plus, ni celui qui n’en parle que peu n’a moins. » (AH I, 10,2)