Open/Close Menu Paroisse catholique à Lyon

Mercredi des Cendres A – 22 février 2023
Jl 2, 12-18 – Ps 50 – 2 Co 5, 20-6, 2 – Mt 6,1-6.16-18
Homélie du P. Franck Gacogne

Nous voilà au seuil de ce temps de Carême. Et l’évangile choisi pour ce premier jour nous propose trois démarches fondamentales, trois recommandations pour bien vivre ce temps. Et je pense que l’ordre, la chronologie proposée pour ces trois démarches a son importance. L’évangile ne nous demande pas de choisir l’une ou l’autre de ces trois attitudes, mais de toutes essayer de les vivre. Pour y voir plus clair, je vais reprendre des expressions que les scouts connaissent bien :

Il y a d’abord la relation à l’autre. L’évangile parle de « l’aumône ». Ce mot est maintenant suranné, on dirait sans doute aujourd’hui : le partage. Partager quoi, et avec qui ? Ce n’est pas difficile de trouver ce qui peut être partagé. Ailleurs, l’évangile nous dit que ce ne doit pas être notre superflu : il déborde déjà : ce ne serait pas le partager, mais s’en débarrasser ! Il ne s’agit donc pas de cela. Le partage, c’est considérer ce qui est précieux pour moi, et permettre que d’autres puissent en bénéficier. Chacun de nous est à même de discerner ce qui est précieux pour lui : mes économies, mon temps, mes talents, ma bonne humeur, mon savoir, ma foi… « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21). Partager, c’est repérer son trésor, pour offrir son cœur. Le cœur, c’est l’organe vital de notre vie, mais ce terme exprime aussi le milieu, le centre de gravité de notre vie. Et bien l’aumône, le partage consiste à devenir ex-centrique, au sens mécanique, c’est-à-dire à déplacer mon centre à l’extérieur de moi-même. Si j’ai mis le cœur de ma vie dans l’autre, alors je ne peux qu’aller vers lui pour que palpite entre nous une vraie relation de partage.

Il y a ensuite la relation à Dieu : la prière. Prier, c’est choisir une relation privilégiée, celle avec Dieu. C’est donc prendre du temps pour le Seigneur et avec lui. On ne prie pas malgré soi, prier est un acte délibéré. Pour prier, il faut le décider. Et dans la prière, il y a toujours à la fois l’expérience de la rencontre, mais aussi l’épreuve de l’absence. La lecture de Joël affirme que Dieu « est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour » et pourtant, les croyants (qui ne le semblent pas tant que ça) en doutent, puisqu’ils s’interrogent : « pourrait-il renoncer au châtiment ? ». Il arrive en effet souvent que l’on se trompe gravement sur l’image que l’on a de Dieu. La prière ne sert pas à nous rendre Dieu favorable comme si avant d’avoir prié, il nous voulait du mal. On ne prie pas pour changer l’attitude de Dieu à notre égard, c’est tout le contraire, prier change notre attitude vis-à-vis de Dieu afin que nous le reconnaissions tel qu’il est. La prière transforme d’abord celui qui prie. Je prends un exemple : si je prie pour la guérison d’un proche, et que cela n’arrive pas. De deux choses l’une, soit je rejette Dieu parce que je l’ai pris pour un magicien qui n’a pas fait son boulot, soit je fais l’expérience que cette prière devient une main fraternelle et généreuse que le Seigneur dépose sur mon épaule pour m’aider à traverser ce deuil dans la foi et l’espérance. La prière est efficace sur celui qui prie ! Je vous propose l’exemple le plus fort de ce que je veux dire : La veille de sa passion au jardin des oliviers, Jésus prie et exprime son angoisse vers le Père : « Que s’éloigne de moi cette coupe ». Il connaît alors une souffrance redoutable, celle du silence de Dieu. Jésus a-t-il été exaucé ? En tout cas il est passé par l’agonie et par la croix. Et pourtant nous le savons, c’est La lumière de Pâques qui sera l’aboutissement de cette prière. C’est Pâques qui est au bout du carême et non la croix bien que celle-ci soit un passage nécessaire. Je crois que Dieu est incapable de me donner ceci ou cela : des choses qui me seraient utiles, en revanche ce qu’il peut donner, c’est l’Esprit Saint (Lc 11, 13), c’est lui-même : sa force, son souffle, sa vie.

Il y a enfin la relation à soi-même : le jeûne. Jeûner, c’est chercher à créer du vide dans nos vies qui sont pleines et débordantes, et c’est très difficile. Il s’agit de faire l’expérience du vide, du manque afin de retrouver une relation à soi-même qui ne soit pas du nombrilisme, mais qui recherche le sens profond de ce qui rempli notre existence. Est-ce que tout ce que je fais a une visée ? Jeûner (de nourriture, de télé, de cigarette, de trop de paroles, de mauvais caractère… que sais-je), jeûner, c’est créer un manque, une béance, qui va ouvrir un désir pour laisser plus de place aux deux autres relations précédentes : le partage et la prière. En fin de compte, je crois que le jeûne est plus un moyen de vivre les deux premières recommandations, plutôt qu’un objectif en soi.

Quand tu fais l’aumône, quand tu pries, quand tu jeûnes… Jésus s’adresse à des personnes qui ont déjà cette pratique. Les propos de Jésus n’ont pas pour objectif d’être plus rigoureux encore dans ces pratiques, mais de mieux les réaliser. Il ne leur dit pas quoi faire, ils le font déjà, mais comment le faire. Cela veut dire que lorsque nous décidons pour notre démarche de carême d’être attentif à une attitude précise, il est indispensable de s’interroger sur la manière de la vivre ou de la mener. L’Evangile nous invite à accomplir ces démarches dans le secret. Le mot secret en grec kruptos « ce qui est crypté » revient 6 fois. L’Evangile laisse entendre que cette démarche ne doit pas avoir d’autres objectifs que de grandir dans sa vie spirituelle, ou de faire grandir l’autre ; mais jamais elle ne doit servir à ce que les autres nous grandissent. En recevant les cendres avec ces paroles « convertissez-vous, et croyez à l’Evangile » nous sommes invités à descendre, la démarche du Carême est placée sous le signe de la conversion, un chemin d’humilité et d’ouverture aux autres vers Pâques. Amen.