
7ème dimanche de Pâques – 1er juin 2025
Ac 7, 55-60 – Ps 96 (97)1-2b, 6.7c, 9 – Ap 22, 12-14.16-17.20 – Jn 17, 20-26
Homélie de Éric de Nattes
Frères et sœurs, je voudrais vraiment faire ‘crépiter’, comme la bûche qui se consume au feu, les mots de Jésus lorsqu’il parle de sa relation au Père et de sa relation avec nous, relations qui se révèlent désormais inséparables avec l’Incarnation : « Tu les as aimé ardemment, Père, comme aussi pour moi, tu as brûlé d’amour. (…) Tu m’as aimé ardemment, Père, avant même que le monde ne soit. (…) Je te ferai connaître Père, pour que cet amour brûlant dont tu m’as aimé ardemment, soit aussi en eux. » On voit combien le buisson ardent irrigue ces mots : un feu qui brûle sans consumer, sans détruire, un feu qui au lieu de consumer fait luire de toute sa splendeur. Comment laisser réchauffer nos cœurs souvent meurtris par le froid de l’indifférence ou de la désillusion, par ces mots inouïs, quasi intraduisibles ? Lorsqu’en français, nous n’avons que notre pauvre et unique verbe – ‘aimer’ -, qui nous sert à ‘aimer le chocolat’ et tout ce que nous dévorons pour nous procurer du plaisir, aussi bien qu’à dire notre ‘alliance avec notre conjoint’, dans le défi de la vie qui se partage pour être féconde, ou encore à dire ‘l’amitié joyeuse de l’existence de l’autre’ à mes côtés, libre de tout emprise ou séduction, mais aussi le lien à nos enfants dans le don répété de nous-mêmes et la transmission… Comme il serait bon que les mots de Jésus nous fasse redevenir légers comme des amoureux, ainsi qu’il en a été pour la Samaritaine ; et vivants avec des cœurs brûlants, comme pour ceux qui ont traversé le deuil et savent désormais au plus intime de leur cœur que la vie ne cesse d’être donnée, comme nos marcheurs d’Emmaüs.
Je souligne ce lien si fort, pour tenter de mieux comprendre ce que Jésus nous révèle de la vie divine, et combien l’unité est relationnelle en Dieu. Et cette unité, elle est vivante, elle est même une ‘’Personne’’, elle est l’Esprit Saint. La force invisible, immatérielle, elle qu’on a du mal à se représenter comme une ‘personne’ ainsi qu’on le fait immédiatement avec le ‘père’ et le ‘fils’. Et pourtant, nous redisons dans le grand Credo : Je crois en l’Esprit Saint qui est Seigneur et qui donne la vie. Pour nous-mêmes, nous pensons toujours que nous ‘avons’ des relations : des amis, un conjoint, des confrères, des collègues, ou des voisins… Et que ces relations nous permettent d’avoir des projets : professionnels, familiaux, de voyage, de vacances… que sais-je ? Mais ce n’est que la surface de la réalité. Nous sommes tissés des relations qui nous relient aux autres, à nous-même, à tout notre environnement. Et nous sommes nous-mêmes par l’ensemble de ces relations.
Vivre l’unité, c’est donc d’abord accueillir l’Esprit Saint, le Don de Dieu, Lui que nous allons fêter dans une semaine, lui qui anime la vie, toute vie, et celle des croyants bien sûr : Il la donne, la vie, il la sanctifie. Notre défunt pape François n’a cessé de nous le dire : l’Église synodale est une Église qui se met d’abord à l’écoute de l’autre, qui entre en relation réelle, véritable, bienveillante. Alors chacun sera lui-même transformé. Sinon, l’Église sera le lieu du combat habituel de programmes (politiques, économiques, pastoraux) préparés à l’avance, et la relation ne sera que de la pédagogie, une façade. Nous ferons croire à l’autre que nous l’écoutons. Avoir uneparole personnelle, d’expérience, la partager, puis écouter celle de l’autre et laisser la relation transformer les positions de chacun pour aller vers du nouveau, telle est la relation désarmée et désarmante, comme dirait Notre pape Léon, cette fois. Vivre l’unité, c’est donc prendre soin – vraiment – de la relation, de toute relation. Celle à Dieu, à notre mère la terre et à tous ses dons, à nos proches, entre membres de la communauté, entre églises… en prendre soin comme je prends soin d’une personne qui m’est chère. Pas d’une idée abstraite. Alors la diversité habitera chacun et le conduira vers la vérité tout entière. Alors l’unité se fera accueil, écoute et gestes nouveaux et paroles nouvelles. Frères et soeurs, quelle tâche, pour nous, chrétiens, de porter cette mission, cette manière d’être entre nous, cette façon de vivre, dans un monde qui ne cesse de se polariser pour créer des ‘îlots de semblables’ qui s’ignorent ou s’invectivent.
« Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient, eux aussi avec moi. » Ce ‘’là où je suis’’ de Jésus, n’est donc pas un espace, mais bien sa relation avec le Père, dans l’Esprit, c’est-à-dire, dans la vie même de Dieu. C’est là qu’il nous veut avec lui. C’est ce lien vivant qui lui a permis d’aimer jusqu’à l’extrême. Pas par ses propres forces, mais bien parce que sa force était dans sa relation au Père, dans la vie de l’Esprit. C’est cette unité avec le Père dans l’Esprit qui lui a permis de ne pas être contaminé par le mal et le néant, la mort. C’est ce qui permet à St Jean de dire pour nous-mêmes : ‘celui qui aime connaît Dieu. Celui qui tient des théories sur Dieu, des discours, mais qui n’aime pas, ne connaît pas Dieu.’
Que cette eucharistie tisse encore plus fort nos liens entre le Seigneur vivant et nous-mêmes : chacun et communautairement. Alors nous serons témoins de l’unité vivante de Dieu dans la magnifique diversité du monde.